« Ifriqya », « Chkoupistan » et… complexe du colonisé

 « Le complexe du colonisé, c’est de porter le discours colonial dans sa tête. » Mohamed Bouhamidi.

Autrement dit, de porter, sinon sur soi, du moins sur ses compatriotes, le regard hautain et réducteur que porte le colon sur des indigènes. D’où l’obsession de s’extraire de cet indigénat, de se distinguer de son peuple.

Or, plus de cinquante ans après l’indépendance, jamais le complexe du colonisé n’a autant fait rage dans les cerveaux algériens. A quels symptômes pourrait-on le reconnaître ? D’abord à travers les clichés infamants et péjoratifs que les algériens véhiculent… sur eux-mêmes ! A titre d’exemple : « L’algérien est incapable de produire un clou droit. » Toute une négation de l’histoire, qui fixe l’algérien dans une essence d’incurie, d’incompétence, d’incapacité ; en l’énonçant, l’aliéné postule, en filigrane, sa démarcation de cet indigénat congénitalement incapable ; toute la séduction du mythe colonialiste, ce par quoi il suscite l’adhésion, est de permettre à l’adhérent le confort petit luxe de se poser en élite, sans lutte, sans défense de son histoire, par la lâche et donc confortable acceptation du mythe colonialiste. Par une sempiternelle référence à un Occident mythifié (« chez nous ceci, tandis que legwar cela »), l’aliéné perd de vue que le développement de l’Occident remonte à un contexte historique, une révolution datée, et postule une ESSENCE progressiste de l’Occident, éternelle et immuable, d’où la redondante comparaison avec ce dernier, radotage qui signifie, en définitive : mimons la bonne essence, et celle-ci nous deviendra UNE SECONDE NATURE. Désir mimétique et goût lâche du confort pour atteindre l’objet : les deux extrémités du ressort psychologique dans le complexe du colonisé.

Autre foutaise à l’usage de l’aliéné pour lui masquer son aliénation par l’alibi d’un patriotisme abstrait : « le pays est bon, c’est le peuple qui est déficient » (« leblad m’liha, 3’bad’ha li 3ayanine »). Et qu’est-ce qui fait qu’un pays est « bon », sinon son peuple ? Les montagnes et les arbres ? Patriotisme « Captain Planet » (petit clin d’œil aux gosses de ma génération), qui dispense, dans une posture de patriote sourcilleux sur les devoirs envers le pays, de se retrousser les manches pour remplir ces devoirs avec ses compatriotes ; en les snobant (« peuple déficient ») on se dédouane de son inaction, de sa passivité : « C’est la faute à ce peuple déficient ! Moi, unique esprit éclairé parmi cette plèbe, que puis-je faire ? On ne peut applaudir d’une seule main (yed wah’da ma t’seffe9’ch). » Traduit clairement, voilà ce dont se gargarise l’aliéné qui déplore que le peuple déficient – dont il se distingue implicitement en le dénigrant ainsi – ne soit pas à la hauteur de ce beau et bon pays.

Mais là où on atteint le comble, c’est lorsque l’aliéné, à l’apogée de son délire narcissique quant à sa distinction vis-à-vis de l’indigénat, devient raciste : « ifriqya, rak fahem », et méprisant : « Chkoupistan. » Cette référence redondante à l’Afrique pour relier chacune de nos déficiences réelles ou fictives à notre appartenance continentale, est typique de l’aliéné qui rejette son africanité soi-disant arriérée pour une appartenance « méditerranéenne », qui l’arrime au rutilant vaisseau du Progrès occidental.

Quant à « Chkoupistan », le terme postule un autre essentialisme : que si nos tares ne viennent pas de notre appartenance africaine, elles ne peuvent alors relever que de nos influences orientales. Unique planche de salut : l’Occident, toujours l’Occident.

En effet, il n’est jamais fait référence à notre histoire, nos racines, pour affirmer notre identité, mais toujours à cet Occident mythifié en unique modèle de progrès, de science, de développement et de compétence. Alibi pompeux pour masquer ce qui fait réellement baver chez cet Occident si brillant : la marchandise. Pour l’aliéné, le progrès, c’est la consommation !

Ainsi, durant plus d’un siècle, par le fer et par le feu, l’impérialisme n’a pu parvenir à nous asservir. Aujourd’hui, par la chaîne dorée de la marchandise, il semble bien près d’y arriver.

Ecrit par: Djawad Rostom Touati

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