La scène médiatique, aux ordres du Capital, grouille de larbins en tous genres: journalistes, écrivains, caricaturistes, animateurs, spécialistes, people, et j’en passe. Ces larbins ont chacun leur rôle à jouer, leur partition à exécuter, et s’en acquittent avec plus ou moins de bonheur, jusqu’à devenir obsolètes.
Cette obsolescence peut être la conséquence de plusieurs facteurs: le crédo assigné au larbin n’est plus à la mode (le système en a lancé un autre), le larbin a trop vieilli pour continuer à le représenter avantageusement (jeunisme, féminisme « glamour »), etc. Il serait trop fastidieux d’énumérer toutes les causes, d’autant qu’il en est une qui nous intéresse tout particulièrement, et qui est l’objet de notre propos: la conjugaison de la maladresse du larbin et des critiques émises par les intellectuels sérieux et hors du sérail contre ses élucubrations, combinaison fatale qui accélère son obsolescence et sa mise au rencart.
Toutefois, pour ses employeurs, le larbin, devenu obsolète, peut encore être recyclé. En martyr, par exemple, de la liberté d’excrétion (voir Charlie Hebdo). Ou, manœuvre encore plus magistrale, en lui faisant incarner une dernière fois, dans son suicide médiatique, à sa carrière défendant, le mythe qu’on lui avait assigné de promouvoir durant son ascension mondaine.
Ainsi, une maison d’édition qui aura porté au faîte de la notoriété un chroniquer hystérique, dont le seul propos fut de récrire constamment le mythe de l’arabe sale, fainéant, incapable, obsédé sexuel, etc. – nous sort tout à coup un auteur de derrière les fagots, qui va saluer le combat d’un algérien communiste d’origine européenne engagé avec ce FLN que le larbin avait pour tâche de vilipender pour cette « erreur » impardonnable: la guerre de libération.
Tandis que le larbin-arabe-de-service n’avait de cesse de dénigrer ses congénères et de leur reprocher de s’être libérés d’un joug qui devait les civiliser, cet auteur français salue le sacrifice du militant FLN. Et tandis que le larbin s’enorgueillissait de recevoir pour ses basses besognes une myriade de prix, l’auteur français décline le prix « le plus prestigieux » (soi-disant) accordé à un premier roman français. Et tandis que le larbin ne vivait que pour et par le buzz, l’auteur de derrière les fagots écrit sous un pseudonyme, n’écume pas les plateaux télés, ne cherche pas les feux de la rampe, etc., (du moins pour l’instant…). Tout cela à un an d’intervalle: le parallèle saute aux yeux des esprits les moins synthétiques.
L’observateur qui a le goût de l’ironie ne peut que sourire devant ce savoureux renversement dialectique: après s’être posé en objecteur de conscience pour les siens, après avoir prétendu « tendre un miroir » aux siens pour leur faire voir leur médiocrité, leur paresse, etc., voilà que le larbin obsolète, « retiré du débat public » après avoir trop maladroitement joué son rôle (jusqu’à indigner des intellectuels étrangers à son peuple qu’il méprise tant) – voilà, dis-je, que le larbin obsolète se voit recyclé en l’incarnation du mythe qu’il véhiculait sans en avoir conscience: les malheurs d’un arabe viennent toujours d’un autre arabe (mythe que l’on retrouve aussi dans « ce que le jour doit à l’ennui », mais ce sera l’objet d’un autre article), les arabes ne savent que s’écharper mutuellement, ET IL N’Y A QUE L’EUROPÉEN ÉCLAIRÉ POUR LEUR RENDRE JUSTICE DANS CE QU’ILS ONT DE VERTUEUX.
L’éditeur bien connu pour être l’officine de l’ambassade de France réalise par-là un coup de maître:
– Un coup médiatique, par le repositionnement de son image singulièrement écorné par la redondance des mythes néocoloniaux que véhiculent ses auteurs de pacotille. A titre d’exemple, un internaute, faisant spontanément la promotion du livre sur les réseaux sociaux, écrit que l’éditeur « renoue avec la vraie littérature ».
– Un coup commercial, grâce au buzz que suscite le refus du prestigieux prix par cet auteur de derrière les fagots.
– Et le fin du fin: le recyclage du larbin obsolète, pour le faire servir une dernière fois, PAR CONTRASTE, au mythe de la supériorité européenne: Il n’y a qu’à lire sur la toile les commentaires des lecteurs pour voir que le parallèle entre le larbin obsolète, hystérique et assoiffé de buzz, et l’auteur effacé et inconnu qui rend hommage au combat de libération du FLN à travers un de ses militants, a déjà été fait avec délectation et boutades acides et ironiques.
Ainsi les mythes que défendaient le larbin obsolète se « vérifieront » une dernière fois par lui, mais à ses dépens, sans qu’il n’y participe en rien; après les avoir véhiculés, il va les subir: l’arabe ne vaut pas un clou, il est traître aux siens et les vendrait pour un bout de notoriété, etc., cependant que l’européen éclairé, méprisant la gloigloire, salue la bravoure et le dévouement, fût-ce chez l’ennemi historique.
« Les hommes font l’histoire à leur insu », écrivait Marx. Le larbin obsolète vient de nous en donner un exemple éclatant.
Très juste. Merci Djawad Rostom Touati et merci aussi à Monsieur Bouhamidi Mohamed, sans lui je n’aurais pas eu le bonheur de connaître almarto (qui tape bien dur)… Hommage à Joseph Andras !
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De rien. Merci à vous pour votre intérêt et pour votre commentaire. L’équipe d’El Marto vous remercie. Nous admirons le travail de M. Mohamed Bouhamidi et nous sommes contents et honorés de savoir que c’est grâce à lui que vous nous avez découvert. Nos amitiés ! 🙂
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