Le « vrai » Algérien

 Le « vrai » Algérien

 

« Sans nous que feriez-vous ? Ah, il serait joli ce pays si nous nous en allions !

Transformé en marais au bout de peu de temps, oui ! »

Frantz Fanon, Lettre à un français. In « Pour la Révolution Africaine ».

 

Amar Adjili a pris la louable initiative de nettoyer la plage de Matares. Bravo! Nous applaudissons avec force et nous promettons de mettre la main à la pâte dès que notre agenda le permettra. Puis Amar Adjili se fait matraquer. Cela nous indigne comme tout citoyen honnête. Mais là où le bât blesse, est lorsque ce matraquage physique est récupéré par un culturo-mondain pour un matraquage d’un autre ordre ; jugez plutôt : « … A tout algérien/algérienne qui lira cette lettre à mon frère Amar, posez-vous la question : en quoi vous êtes algériens, ou qu’est-ce qui fait de vous un algérien ou algérienne ? Moi, […], je suis fier d’être né deux fois : biologiquement je suis né en RD du Congo, et artistiquement je suis né en Algérie. Et je suis plus algérien que beaucoup qui se croient algériens. » Allah Allah !

Bien sûr, tout cela est mignon ; bien sûr, on est tenté de tomber les quatre fers en l’air devant ce donneur de leçons jaloux de définir le bon algérien digne de notre magnifique pays. Sauf que lorsque le culturo-mondain « artistiquement algérien » parce qu’il a publié une tartine en Algérie, établit un distinguo entre « l’algérien de passeport », autrement dit l’algérien par droit du sol, et « l’algérien du cœur », c’est-à-dire celui qui MERITE d’être algérien parce qu’à l’instar de Amar Adjili, il se rend utile au pays (le culturo-mondain a cette même prétention en tant qu’artiste : il a donné un bouquin à l’Algérie, il est donc plus algérien que beaucoup de ceux qui se disent algériens…) – lorsque le culturo-mondain établit ce distinguo, cela a des relents nauséabonds qui nous rappellent la pestilentielle odeur du mythe néocoloniale. Marotte ? « Décortiquons de près » tout cela, comme dit le grand analyste-théoricien de la « vraie » algérianité.

Quiconque observe un tant soit peu la scène médiatico-culturelle peut constater sans effort que le fameux mythe de terra nullius, de la terre vierge et marécageuse que les pieds-noirs ont transformé en éden, à été remplacé par sa suite logique après l’indépendance : le mythe de l’éden pieds-noirs que les algériens transforment en poubelle. La racine du mythe est la même : l’indigène ne sait pas faire fructifier la terre, la preuve : on l’a trouvée vierge, et lorsqu’on la lui laisse « fructifiée », il ne sait rien faire d’autre que la laisser péricliter, quand il ne la dégrade pas activement.

Demander au peuple algérien de justifier son algérianité, c’est insinuer, en filigrane : « Qu’as-tu fait, magma informe qui grouille sur cette terre, POUR LA MERITER ?! » On retrouve ainsi la vieille ritournelle coloniale : le véritable algérien, l’algérien DIGNE de l’Algérie, c’est le pied-noir, qui a fait à la force de son labeur, de son dévouement et de son abnégation, un éden d’un marécage (soi-disant). Ou bien de l’intellectuel qui a donné au pays une œuvre. On voit que derrière le culturo-mondain « artistiquement » algérien, Camus n’est pas loin…

Etre solidaire d’Amar Adjili, d’accord. Mais user de cette solidarité comme promontoire pour donner des leçons d’algérianité, et établir des distinctions entre l’algérien digne et l’algérien indigne de cette terre qu’il salit (car il ne faut pas oublier le contexte « hygiénique » de tout ce micmac), cela n’est rien d’autre que le préambule aux vieux discours : « qu’avez-vous fait de l’indépendance, peuple indigne de cette terre magnifique ? » qu’on nous sort à la conclusion de chaque peinture caricaturale de nos déboires : décennie noire, malpropreté des villes, incivisme, etc.

Un aliéné notoire l’a dit sans ambages : « La terre à celui qui la respecte. Si nous en sommes incapables, autant la rendre au colon. » Le culturo-mondain congolais a été plus subtil, ou, pour parler précisément, moins maladroit.

N’empêche, votre métalangage est éventé, ou, comme dit l’adage populaire : « Qwalebkoum h’faw ! »

Ce qui importe en définitive n’est pas d’être un bon ou un mauvais algérien, mais comme disait Fanon en substance, d’être un bon être humain. Tout le reste va de soi. Et cette fixation sur la nationalité, sur le fait d’être DIGNE de son pays, donc de sa terre, n’est que la prémisse d’un raisonnement bien moins larmoyant que la guimauve dont a usé le culturo-mondain pour édulcorer son propos : ce dont on n’est pas digne, lorsqu’on s’en fait exproprier, CE N’EST QUE JUSTICE !

Procédé usé jusqu’à la corde. Mais qu’est-ce que le culturo-mondain, sinon le secrétaire qui récrit constamment le mythe de ses maîtres ?

 

Ecrit par: Djawad Rostom Touati

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