Le Troll: cette maladie du 21ème siècle

A la manière de Théophraste traduit par la Bruyère, je m’en vais peindre un caractère produit type de la civilisation de l’ersatz, de la séparation et de la virtualisation des rapports sociaux: le troll. Exercice stérile, mais jouissif, pour se délasser un peu des tragédies qui endeuillent le monde défiguré par l’impérialisme capitaliste. Rien que pour ça, mille merci au troll!
Le troll est lâche: Toujours planqué derrière un faux profil, il écume les réseaux sociaux et les forums, en croisade contre tout et n’importe quoi. S’étant lui-même mis au ban de la vie réelle par l’agressivité hautaine sous laquelle se drape son enrageant complexe d’infériorité, ce rejet qu’il a lui-même initié se reproduit dans le virtuel, où il gourmande, rabroue et insulte quiconque a l’heur de ne pas dire « amen » à ses admonestations paternalistes et pompeuses, par lesquelles il se pose en censeur du goût, en étalon-or auquel mesurer la bonne pensée, les bonnes lectures, etc., pour ensuite déplorer que ceux qu’il insulte si copieusement le mettent au ban de la communauté virtuelle, ainsi qu’ont fait ceux de son entourage réel: « Hagrouna, sadiqi… »
Le troll est seul, tellement qu’il en est réduit à se dédoubler sous plusieurs profils pour donner l’illusion d’une communauté d’intelligence et de sensibilité avec d’autres trolls. Ainsi pour deux ou trois zigotos que réunissent les mêmes névroses, on a l’illusion d’un bataillon de zélateurs, d’une brigade virtuelle de la pensée correcte, pitoyables névrosés se gargarisant mutuellement de leur fantasme d’anticonformisme révolutionnaire.

 

Le troll est versatile : défendant bec et ongles une « cause », il suffit que celle-ci soit défendue par un groupe qui par ailleurs n’épouse pas ses obsessions et névroses identitaires pour que le troll se désolidarise de ladite cause, devenue tout à coup surfaite, secondaire, diversion à des préoccupations plus essentielles : le troll agite toujours à chaque initiative citoyenne le reproche de ne s’être pas mobilisé pour une cause à ses yeux plus grande, nécessaire, primordiale. Il semblerait que dès le berceau, le troll eût intériorisé la fameuse réclame : « La vie est une question de priorité. » Le troll se pique d’ailleurs d’être à l’avant-garde de toutes les luttes, de tous les combats : à quiconque se mobilise pour une cause, le troll lui rappelle dans un interminable pavé ce qui peut tenir dans le fameux refrain d’IAM : « Quand vous alliez je revenais. »
Le troll est sectaire, gourou qui polarise les esprits faibles, névrosés, masochistes: pervers narcissique, le troll aura beau malmener ses rares thuriféraires, le plus souvent pour un différend de forme (ses thuriféraires n’iraient jamais jusqu’à le contredire sur le fond, eux qui se voient trépignés pour avoir osé dire « Moussa Hadj » au lieu de, à l’instar du troll, « Hadj Moussa »), ces derniers en redemandent, et lui donnent obséquieusement la réplique pour ses imprécations hystériques et creuses, sans fond conceptuel ni analyse sérieuse.
Lecteur prolifique, le troll est incapable de rien produire: il est l’eunuque par excellence. Il incarne à merveille la « machine à lire », « l’engeance de glossateurs » dont se gaussait Cioran-la-pleureuse-froide. Ainsi, le plus souvent, le troll ne parle que par citations, sinon par name-dropping: « Comme l’a dit X à la suite d’Y et n’en déplaise à Z », etc. Le troll aime à ressusciter les vieilles querelles doctes et stériles dont il revit l’épopée, pour se caresser le temps d’une joute sur la toile au sentiment factice d’un héroïsme virtuel.

 

Car c’est bien là le fond du problème: ce troll, par ailleurs si impérieux sur les forums, devient conciliant, doucereux, presque servile dans les échanges privés. Quant à la véritable agora, l’espace public réel, le troll n’y apparaît jamais. Et lorsque c’est le cas, c’est la douceur faite homme. Comment pourrait-il en être autrement? D’abord, certes, le troll se pique souvent de rudesse du modus vivendi, censé justifier sa rudesse de mœurs. « Montagnard » dans la vie réelle, le troll se prévaut d’avoir le discours aussi rude et calleux que les mains qui le tapent sur le clavier. Mais une fois devant vous, on a peine à ne pas se rouler par terre de rire: ce montagnard des taupinières, chétif et souffreteux, ne pourrait tenir une pelle cinq minutes sans rendre l’âme par tous les pores de sa peau au teint bilieux.
Le troll est pétri de névroses: schizophrène, cela va de soi, de par la dissociation entre son moi social et son moi-réseau-social, c’est à dire virtuel; mais aussi paranoïde et histrionique: le troll aime à se mettre en scène, sous différents profils, et à se poser en persécutés des forums pour son franc parler et son non-alignement au politiquement correct du magma qu’il prétend censurer, et SEULEMENT CENSURER: le troll, jaloux de son précieux savoir, de sa culture réifiée car ne se traduisant jamais en praxis chez cet asocial – le troll, dis-je, ne partage jamais, ou rarement, ce qui fait tant son orgueil. Lorsqu’il « partage » quelque chose, il ne s’agit le plus souvent que des expressions redondantes – qui ont déjà pignon sur rue – de ses obsessions identitaires, pour inviter, grand seigneur, la masse inculte à s’en gargariser avec lui, le temps d’une messe fraternelle autour du seul consensus toléré par le troll.

internet_troll

 

Car en effet, que deviendrait le troll, si la culture se démocratisait? De quoi aurait-il l’air, non seulement lecteur stérile et improductif, mais mauvais lecteur, incapable de synthétiser et traduire en praxis la montagne de livres qu’il ingurgite comme autant d’attributs postiches à une psyché en mal de reconnaissance – de quoi aurait-il l’air, dis-je, si parmi ceux avec qui il partagerait ses lectures, apparaissaient des esprits fertiles capables d’aller au delà de la froide régurgitation à laquelle se limite la culture formelle du troll? Que lui resterait-il, le pauvre choupinou?

 

Aussi, sans pour autant perdre de temps à lui répondre, et donner prise à son désœuvrement chronique sur un temps à nous autres plus précieux, laissons dire le troll: il fait partie du folklore virtuel, et seulement virtuel. Si jamais il lui prenait l’envie d’exporter sa volonté de puissance (qui ne se traduit le plus souvent que par une volonté de nuisance) dans l’agora réelle, une gifle – qui dis-je: une chiquenaude, nous en débarrasserait tout de bon.

Je m’en porte garant!

 

Ecrit par: Djawad Rostom Touati

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :
search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close