« Les pauvres accusent les riches d’être à l’origine de leurs souffrances. Les riches pensent que les pauvres ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Ce n’est pas vrai. Le monde est ainsi fait, et ce n’est la faute à personne. Il faut savoir prendre son mal en patience. La Fatalité serait la reine des salopes si elle ne cachait pas son jeu. Le monde ne vaudrait pas le coup s’il ne le rendait pas. On croit savoir, et on ne sait rien du tout. En refusant de l’admettre, on devient fou à lier. » Yasmina Khadra, A quoi rêvent les loups.
Passons sur les truismes (« il faut savoir prendre son mal en patience ») et les formules ineptes qui ne veulent absolument rien dire, et examinons ce brillantissime axiome : « Le monde est ainsi fait. »
L’explication tautologique, qui n’explique rien, est la plus facile à assimiler – ou, pour parler plus précisément, à ingurgiter – et à reproduire ; c’est pour cela que les culturo-mondains s’en gargarisent comme d’une pensée profonde : en s’extasiant dessus, ils se suggestionnent qu’ils ont compris une vérité essentielle, qui échappe au vulgaire : aux antipodes de la dialectique, qui DEPASSE la causalité unilatérale et rigide pour la remplacer par l’action réciproque du sujet et de l’objet, le tautologue, prétendant dépasser tout cela ensemble, se place EN DECA : le monde est ainsi fait, c’est comme ça et pi c’est tout.
Et l’ilote d’applaudir ce qui le dispense de se creuser les méninges (et pourquoi faire, d’ailleurs ? « Quand on croit savoir, on ne sait rien du tout ») : le culte consumériste du confort matériel – aux dépens même de la liberté et de la dignité – produit son pendant « intellectuel » (faut le dire vite) : le culte de la « pensée » confortable et toute faite, du prêt-à-penser, aux dépens même du sens critique le plus élémentaire ; sans doute crainte de devenir, en l’exerçant, « fou à lier »…
Un système de production sur la base duquel croît un système de pensée et de mœurs : Autant au crédit des idéologues bourgeois, qui vous traitent de « gauchiste », « gauchisant », « crypto-communiste », et j’en passe, dès que vous citez Marx ou Gramsci. « En étiquetant un discours, tout le monde le sait, on rend son écoute ou sa lecture inutile. Pourquoi se fatiguer à le faire quand on l’a placé dans une case explicative et donc rassurante que l’on pourra répéter comme une vérité apprise en classe ? La classification de la pensée et du discours le désactive et l’exorcise. » Mohamed Bouhamidi (sur « l’étiquetage » de Frantz Fanon).
Nous aimerions conclure en citant la tradition prophétique : « La vérité est la quête du croyant, où qu’il la trouve, elle lui revient de droit. » Mais ce serait s’exposer à être étiqueté « islamo-fascisto-intégriste ».
C’est déplorable, mais « le monde est ainsi fait ». C’est comme ça et pis c’est tout!
El Marto sosyal-المارطو صوصيال 