
Chaque jour ressemble au précédent
Au marasme nulle échappatoire
Et toutes les heures se succédant
Semblent figées sur la même histoire
Etroit et borné est l’horizon
De ma pauvre cité dortoir
Cerné comme dans une prison
On l’on déverse à l’entonnoir
Tous ceux qui ont fui la misère
D’une pauvre activité agricole
Pour l’urbanisme concentrationnaire
Des banlieues de la métropole
La vieille tradition solidaire
Par le Dieu-Argent piétinée
Mêmes les cœurs les plus austères
Ont dû fuir et abandonner
Leurs petits patelins séculaires
Pour chercher dans les grandes villes
Quelque travail souvent précaire
Et des emplois souvent serviles
Dans les bidonvilles insalubres
Provisoirement s’entasser
Côtoyer les mines lugubres
Des épaves sous opiacés
Les missiles* font décoller
Avant de s’écraser en enfer
En être réduit à voler
Pour sa dose mortifère

Relogés dans les cités
Sans amarres ni repères
Déphasés, déconnectés
Des traditions de nos pères
Livrés à la voracité
De la mentalité marchande
Investis, phagocytés
Par son insidieuse propagande
Grandir avec l’idée ancrée
Que seul l’argent a d’importance
Que la marchandise sacrée
Est l’ultime fin de l’existence
Et mon ami, c’est ma combine
Mon portefeuille est mon frère
Si au sommet règne la rapine
En bas, mon vieux, vogue la galère
D’où le mot d’ordre : « navigue !
Frangin, dans la vie il faut se secouer* »
La vraie vertu ? C’est la brigue
Etre intelligent, c’est être un roué
Si des classes dominantes
Ne ruisselle pas la richesse
Leurs pratiques infamantes
Leur méprisable scélératesse
Est en train de faire école
Parmi la jeunesse marginalisée
Se propage comme la vérole
Recouvre uncorps fragilisé
Et tandis qu’à la débrouille
Le culot, la brigue et l’entregent
Se mettent plein les fouilles
Les serviteurs du Dieu-Argent
Les esprits bohèmes environnés
Par la grisaille de béton et de bitume
Ne trouvent qu’à s’empoisonner
Pour anesthésier leur amertume
Dévider son rêve en tirant sur un joint
Et tresser dans les volutes de la fumée
Une corde salvatrice : partir au loin
Rejoindre un eldorado fantasmé
Fuir ce déprimant espace
Cet environnement désert
Mangé par le béton vorace
Clairsemé de rares coins verts
Même le sport n’est plus possible
Les petits stades sont devenus payants
Sport du pauvre, à tous accessibles
Le foot ne l’est plus qu’au client
Des pieds-nickelés ventripotents
Pour un petit créneau d’une heure
Sont prêts à payer tout contents
L’équivalent d’une journée de labeur
Quant aux terrains municipaux
Trois communes pour un seul stade
S’en disputent les créneaux
Tu parles d’une mascarade
Nulle part où se dépenser
Evacuer la tension sexuelle
Ne restent, pour n’y plus penser
Que les paradis artificiels
Le mariage ? Pas demain la veille
Cela coûterait les yeux de la tête
Je préfère rêver monts et merveilles
En me rabattant sur la fumette
En maudissant parfois les flics
Qui sans doute par désœuvrement
Sèment parmi nous la panique
En nous braquant inopinément
Le morceau de kif vite mangé
Se laisser fouiller l’air sarcastique
Narguer le flic pour se venger
Du rêve voué à la fosse sceptique
Quelques fois pour varier
Une bouteille d’alcool fort
Dans le parking du quartier
Boire jusqu’à être ivre mort
Et dans un rythme démentiel
Défile toujours la même histoire
Et les maudits paradis artificiels
Voilent à peine mon purgatoire
*« Saroukh » : Médicament qui soulage les rhumatismes, utilisé par les toxicomanes pour son agent actif, à base d’opiacés.
*« Navigui, kho, bougi. »