La marche comme philosophie

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Mettre un pied devant l’autre, pour une destination, ou pour un inconnu, dans un but ou sans, c’est ce que l’on appelle marcher.  Les voyages, les pèlerinages, les randonnées, les promenades, les flâneries, tant de formes d’un seul et même mouvement perpétuel, celui du corps dans l’espace, celui de l’esprit dans le paysage. On marche pour se « vider la tête », « s’aérer l’esprit », mais aussi surtout et le plus souvent uniquement dans le but d’« entretenir sa forme », mais est-ce tout ce que la marche a à nous offrir ? N’y a-t-il pas d’autres dimensions à la marche ? Cheminement qui nous laisse entrevoir que du marcheur au penseur il n’y a peut-être qu’un pas.

 

La marche, un simple exercice physique ?   

Depuis l’aube des temps, l’Homme marche pour survivre. En effet, L’Homo Sapiens a d’abord  été Erectus, et l’errance semble avoir participé à l’essor de ses découvertes et de sa pensé. Considérée par beaucoup comme un simple moyen de locomotion, ou comme un moyen d’entretenir son corps, on retrouve à travers l’histoire plusieurs penseurs qui lui trouvent bien d’autres avantages, parmi eux Aristote.

Surnommé le peripatetikós ( en grec « qui aime se promener » ), la légende voudrait qu’il enseignait à ses disciples en marchant. Ils arrivaient au gymnase dès l’aube, puis l’arpentaient longuement, s’exerçant avant l’activité physique, à la philosophie. Bien des penseurs de son époque semblaient eux aussi trouver des vertus à la marche, à l’instar des Sophistes, Protagoras le premier, qui vendent leur savoir en marchant. Mais aussi des cyniques, comme Diogène, qui, armé de son célèbre bâton déambule dans Athènes. Ou encore Socrate et ses compagnons. Mais cet engouement ne s’arrête pas à l’antiquité.

Un outil de réflexion         

La marche comme tant d’autres activités répétitives, crée un interstice propice à la pensée, et catalyse la réflexion. Cependant, la déambulation dans la nature, ou dans la ville, l’expérience de l’espace, et l’effort physiques qui l’accompagnent en font pour beaucoup un outil sans pareil, une manière d’astreindre l’intellect au charnel.

Parmi ceux là, Kant. Si elles sont d’abord dans un but hygiéniques, les promenades quotidiennes de Kant dans Königsberg (sa ville natale qu’il n’a jamais quittée) s’étaient vit avérées vitales pour le philosophe. Il devint ainsi un véritable métronome de la ville. La tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi du temps immuable et la trajectoire de sa promenade quotidienne que deux fois durant toute sa vie. Ceci n’empêche pas Nietzche de décrier sa manière de marcher qui, selon lui se rapproche plus de l’entretien physique que psychique.

En effet, la figure de proue des penseurs adeptes de la marche est Nietzche. Il n’a cessé de marcher, jusqu’à 6 heures par jours, seul ou en groupe dans toute l’Europe, avant d’être frappé par la maladie et la folie et finir sa vie sur une chaise roulante. Véritable penseur du plein air, pour lui la marche n’est pas une pratique accessoire, comme elle pouvait l’être chez Kant, mais une condition sine qua none de la pensée. Dans ses enseignements figuraient : «ne prêter foi à aucune pensée qui n’ait été composée au grand air, dans le libre mouvement du corps – à aucune idée où les muscles n’aient été eux aussi de la fête.» D’ailleurs, il ne manquera pas de décrier aussi Flaubert qui aura le malheur de dire qu’il écrivait mieux en étant assis. Pensée que l’on retrouve également chez Kierkegaard qui affirma : « mes meilleures pensées sont venues en marchant, et je ne connais aucune pensée si lourde qu’on ne puisse s’en éloigner à grands pas ».

 Une école de la vie

Pourtant, il ne suffit pas de mettre un pied devant l’autre pour s’improviser penseur. Les émotions et le ressenti, les enseignements que procurent la marche ouvrent de nouveaux horizons, et fournissent un terreau riche que chacun peut utiliser afin de faire avancer ses idées.

           Chacun, oui, car la marche s’adresse et est à la portée de tous. C’est une école de la patience, de la persévérance, et de l’effort. Le piéton, est piètre par définition, il est simple, frugal, et en quête de l’essence des choses. En effet, on laisse derrière soit lors d’une ascension ou d’une randonnée, les masques sociaux, les tracas du quotidien, pour renouer avec la jouissance élémentaire, pour renouer avec ce qu’il y a de plus authentique, de plus ancien et de plus essentiel chez l’homme.

Ce sont de telles valeurs apprises dans la marche, que Rousseau essaye de transmettre. En effet, cet amoureux des promenades, pour qui « qu’importe la destination, ce qui importe c’est le chemin », encourage à la marche dans son manuel d’enseignement Émile ou De l’éducation. Il fut accablé lorsque son grand âge et la maladie l’obligèrent à troquer ses jambes pour des roues.

Un retour à la Nature

          La marche est aussi un moyen de découverte par ses propres sens de la nature : L’esthétique dans la simplicité, les joies des silences et des symphonies éoliennes. Marcher, c’est découvrir, « vivre » à la manière dont l’entend Thoreau, un préalable à toute activité intellectuelle digne de ce nom.

          Ce dernier, poète naturaliste américain, affirmait du fond de sa cabane perdue dans les forêts de Walden, que « l’être humain commence par les pieds ».  Pour lui, accéder à un endroit isolé au bout de plusieurs heures d’efforts, c’est se l’approprier, le graver dans son corps et dans sa mémoire. C’est la gratification de l’exploit, et la satisfaction que le marcheur vient chercher. Ce dernier affirme qu’«Il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne s’est jamais levé pour vivre ».

Ce ressourcement dans la nature, et ces aventures au plein air, sont cher aux auteurs romantiques, qui y trouvent leur inspiration. C’est aussi le cas de l’écrivain anglais Stevenson, qui déclarait qu’il n’écrivait qu’au retour de longues escapades (certains tracés de randonnée en France gardent toujours son nom), qui lui fournissaient la matière nécessaire à ses histoires.

Une quête de sens

Sous forme de pèlerinage ou de processions mystiques, on retrouve souvent un lien étroit entre la marche et le spirituel. En effets de pareilles démarches, qui nécessitent de tout laisser derrière soi, et s’inscrire dans un long et tortueux périple sont propices aux réflexions solitaires, aux révélations mystiques, et aux rétrospections. Ce qui nous renvoie aux mots de l’anthropologue  David Le Breton : « c’est dans la trame du chemin que se cache le fil de l’existence ».

Que ce soit vers la Mecque, ou sur les sentiers de Compostelle, nombre de religions exhortent à voyager dans le dépouillement total, et la dévotion absolue, en quête d’une divinité. La piété du marcheur est alors mise à l’épreuve, ainsi que son corps et son esprit. Il rejoint un long cortège d’âmes et de pieds qui ont foulé ces mêmes chemins millénaires dans un même but, celui d’accéder au créateur, mais aussi peut-être d’accéder à eux même, et au sens de leur propre existence. Le chemin devient alors une longue prière, les rencontres un signe divin, les peines une expiation, et la mort une salvation.

            Véritables quêtes de sens, les pèlerinages sont présent sous d’autres formes dans beaucoup de cultures. On peut citer, les Huichols, tribu du Mexique, qui parcourent 800 kilomètres dans le dénuement le plus total à travers montagnes et déserts, respectant un tracé millénaire. Ce périple, sert à forger les hommes de la tribu, à honorer leurs ancêtres et leurs divinités, et à s’approvisionner en champignons hallucinogènes. Consommés sur le chemin du retour, ces champignons font de la procession une marche aux allures de transe mystique par laquelle on est censé accéder à la sagesse des anciens.

Une forme de contestation

         La marche peut-être une manière d’exprimer sa pensée, être un acte engagé, c’est d’ailleurs la forme que prennent couramment les manifestations. Elle devient alors un mouvement collectif, elle défraie avec l’inactivité, et revendique l’avancée et le changement.  Symbole de vie, d’action et d’engagement, la marche s’est imposée dans l’histoire des contestations et des revendications.

           On peut prendre exemple de la poétesse vietnamienne Ho Xuan Huong, au XVIIIe siècle, qui fit de la marche un moyen de s’émanciper, de s’affirmer dans sa société. Mais aussi, la marche du Sel de Ghandi, en 1930, un long périple où, sur plusieurs centaines de kilomètres, l’homme âgé de 60 ans, accompagné par un groupe croissant de militants, défia le colonisateur anglais, en allant ramener du sel des villes côtières de l’inde et contourner l’embargo imposé sur la denrée. Ou encore, des marches contre le racisme de Luther King, achevées par son célèbre discours.

Une activité urbaine

         Contrairement à ce que l’on pourrait croire la marche n’est pas strictement réservée aux amoureux de la nature. Il s’agit d’une activité qui s’exerce aussi en ville. Les paysages urbains fourmillent de détails, et le mouvement constant est une manne pour tous ceux qui veulent y prêter attention. Comme le montre le personnage du « flâneur » de Rimbaud, le poète marcheur, l’homme aux sandales de vent, ou encore le personnage de l’«Homme de la foule »  de E.A Poe.

            Flâner qualifie l’action du penseur et de l’observateur passionné, qui traverse la ville, sans chemin préétabli et sans destination précise, dans le but d’en absorber l’essence, et d’en retranscrire l’âme. Vision qui se développera encore plus tard dans la marche des Surréalistes, tel André breton, et chez les petits groupes de réflexion des situationnistes. Tohubohu,  brouhaha, fresques humaines à chaque passage piéton, des milliers d’histoires derrière chaque mur, et sur chaque pavé, autant de trésor pour les flâneurs, ces marcheurs urbains.

 

Un pied de nez à la modernité

           Nous vivons à l’air de l’anachronisme corporel. Tout est mis en œuvre pour minimiser les déplacements, vers l’homme statique, amorphe, enraciné. Et lorsqu’ils sont nécessaires, alors tout est fait pour en réduire le temps, pour effacer le voyage. Le déplacement est motorisé, l’homme perd la notion de l’espace, de la distance, il est détaché de son environnement, et s’entiche d’un autre, virtuel. L’essence se substitue au sens, au prix d’une course effrénée à la poursuite d’un temps dont on ne saurait profiter. C’est cette dématérialisation du corps, que l’on entretient d’une manière mécanique dans une salle, pour le replacer dans un fauteuil, ou derrière un volant, qui entraine la remontée spectaculaire de la marche dans les activités de loisir.

            D’abord, marcher c’est faire l’expérience du temps, avancer avec lenteur et respect sans oublier de penser. Chaque grain que foule le marcheur, il l’observe se décompter du sablier du temps. Les minutes s’étirent, à l’heure où tout va trop vite. Ensuite, Le marcheur fait l’expérience de la quiétude, il est déconnecté, il sort de la machinerie imposée par son quotidien, il prend le choix hérétique de ne rien faire si ce n’est marcher, il va à contre sens. Par ailleurs, il fait aussi l’expérience de la distance, et celle de son environnement, d’une manière qui serait impossible à reproduire en voiture.

         On chemine alors, vers une marche en contre mouvement, une marche comme refuge à la modernité dévorante, une marche qui compte de plus en plus d’adeptes. Une marche pour ne plus être pris par le temps, mais pour le prendre, une marche pour reprendre l’ascendant sur sa vie.

 

             Que ce soit une randonnée en plein air, ou une flânerie urbaine, en quête de soi, de dieux, ou en signe de protestation, chaque marche est une aventure de laquelle on sort grandi, un espace de réflexion éloigné des livres et des bibliothèques, éloigné des conventions, une manière d’imposer le relief à la platitude de la vie. omme de la foule d, inspiré du  Rimbaud s mbulatoire, demeure Neitzche ans s à pied ttes sommes, au jeunes riches, à qui ils apAinsi la représentation la plus fidèle du Penseur, ne serait peut-être pas la sculpture éponyme de Rodin, mais plutôt « L’Homme qui marche » de Giacometti. Si les bienfaits de la marche en tant qu’exercice physique ne sont plus à prouver, il existe néanmoins une autre dimension, connue uniquement par ses fervents adeptes, celle de l’exercice spirituel. 

Écrit par: M’hamed Belbouab

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