L’écrivain qui se réclame de l’esprit de Bandoeng n’est pas nécessairement un politicien, mais il est forcément un politique. Pour nous, le problème du choix ne saurait se poser. Nous avons choisi. Le problème de l’engagement ne saurait nous troubler. Nous sommes engagés.
L’histoire ne nous a pas laissé indifférents. Les cabrioles dialectiques et les évasions métaphysiques ne nous émeuvent pas. Nous sommes insensibles aux délices de la rhétorique et au passe-temps du cheveu coupé en quatre, en seize ou en 32. Il nous importe peu de savoir si l’œuf a fait la poule ou la poule a fait l’œuf. Nous ne situons pas l’art aux altitudes malsaines des esthètes de salon et d’académie.
Nous avons pourtant une très haute idée de l’art en général et de notre métier d’écrivain en particulier. La lutte que nous menons est celle que mène chacun de nos peuples. Rien ne les distingue, rien ne les sépare et rien ne peut démontrer que l’une est mineure et l’autre majeure. Le combat, comme la vie a établi une simple division du travail. Dans les mains de l’homme de cœur et de talent un stylo peut être aussi utile qu’une mitraillette ou le mancheron d’une charrue.
L’impérialisme le sait bien qui saisit nos livres, nous contraint à l’exil ou simplement nous emprisonne. Il sait que nous ne sommes pas des porte-parole, parce que les peuples n’ont besoin de personne pour chanter à leur place, mais des témoins gênants. Il sait que nos écrits sont tout aussi efficaces que n’importe quelle forme de lutte contre les forces d’asphyxie culturelles et nationales.
Unanimement, les écrivains algériens se sont mis au service de la guerre de libération et puisent leurs sources d’inspiration dans la misère et la colère de leur peuple. La lutte contre le colonialisme français a inspiré des œuvres qui ont forcé l’admiration de l’adversaire lui-même.
La guerre d’Algérie s’inscrit dans le cadre d’un humanisme universel. Les œuvres qui sont leur vie participent de cet humanisme. Car cette guerre est une guerre de promotion humaine, de sauvegarde de la dignité humaine.
Le sujet a été maintes fois débattu qui traite de l’engagement de l’écrivain. Je n’y reviendrai pas. Pour moi, comme pour beaucoup, l’écrivain est un homme au service des autres hommes. Le patriotisme est la source de tout humanisme.
Or, une communauté de malheurs nous rassemble, nous unit, une communauté d’ennemie nous soude. Nous avons vécu les mêmes drames, nous partageons les mêmes espérances.
Une littérature valable ne peut être qu’anticolonialiste. Une littérature qui se respecte ne peut qu’œuvrer pour le respect de l’homme. En fin de compte, la littérature est un humanisme en action.
Car la vocation de l’homme n’est pas de se mettre à genoux devant un autre homme. Car la vocation de l’homme n’est pas de craindre d’avoir froid, d’avoir faim, d’avoir peur, d’avoir des ambitions limitées. Car la vocation de l’homme n’est pas la résignation qui asservit, l’humilité qui paralyse, l’habitude du malheur qui avilit.
L’écrivain se voit confié une mission qui, si elle l’honore, doit l’obséder : ne rien écrire qui ne diminue l’homme dans ses nobles appétits. Il est comptable de son talent devant son peuple et devant l’histoire.
Texte de l’intervention de Malek Haddad au Congrès extraordinaire des écrivains afro-asiatiques, à Tokyo, du 28 au 31 mars 1961.
Source : Journal El Moudjahid, n°80, 12 mai 1961.
Malek Haddad (1927-1978): un des fondateurs du roman algérien (d’expression française). A lutté de sa plume contre la pensée colonialiste française et pour la défense d’une culture nationale algérienne. A milité pour l’indépendance pendant la guerre de libération nationale algérienne et a participé à des conférences à l’étranger pour faire connaître la cause de la lutte pour l’indépendance nationale du peuple algérien.
Ses principales oeuvres littéraires: « le quai aux fleurs ne répond plus « , « je t’offrirai une gazelle », « écoute et je t’appelle « , « la dernière impression « .
El Marto sosyal-المارطو صوصيال 