Hier contre le colonialisme et le capitalisme, aujourd’hui contre l’oligarchie locale, l’oppression du parti de l’argent (le parti des capitalistes locaux), le néo-colonialisme et ses auxiliaires de néo-harkis, voici des épisodes de la culture de la résistance dans les stades de notre pays.

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L’association musicale El Djazaïriyya est fondée à Alger en 1930, l’année même où les colonialistes français fêtent le centenaire de la colonisation de notre Patrie. L’association aspire à combattre la culture coloniale, à affirmer l’existence d’une personnalité algérienne très ancienne (dans un contexte où le colonisateur terroriste nie l’existence d’une nation algérienne) et à développer la culture nationale dans les milieux de la jeunesse algérienne. Parmi les membres de cette fameuse association figure le regretté Hadj M’rizek, l’un des maîtres de la musique chaâbi et…membre du club de football Mouloudia d’Alger, premier club algérien qui a adopté l’insigne frappé de l’étoile et du croissant, cousu sur le maillot de ses joueurs lors des manifestations sportives officielles, contre les clubs des colonisateurs français. Cela signifiait deux choses : 1-que le Mouloudia d’Alger défiait les colonialistes, leur prouvant que le peuple algérien demeurait attaché à l’Islam et à la civilisation islamique . 2- que les algériens refusaient de se diluer dans une culture occidentale colonialiste.
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Un groupe de jeunes militants patriotes des Aurès décident, en 1932, de fonder un club de football qui représente leur région. Cette décision est motivée par le mouvement nationaliste indépendantiste. Le but est de lutter et de mener le Djihad (le combat libérateur) sur les terrains de foot contre les clubs des colons et leur mentalité colonialiste. En effet, le système colonial français[1] véhicule sur les algériens l’image d’un peuple de barbares, de fainéants, d’arriérés et de réfractaires à la civilisation et au progrès. Les militants patriotes ont appelé leur club de football Chabab Aures Batna. C’est ainsi que les militants aurésiens ont porté le flambeau du patriotisme révolutionnaire et se sont soulevés sur les terrains de foot contre l’idéologie des colonialistes français.
22 ans après la fondation du CAB, la guerre de libération nationale éclate. Nombreux sont les membres du Chabab Aures Batna qui rejoignent les rangs de l’Armée de Libération Nationale. Le club a sacrifié plus de 60 de ses membres, tombés en martyrs pour libérer la Patrie, comme les frères Kechida, les frères Seffouhi et Ali Nmer. La lutte du Chabab Aures Batna sur le front sportif s’est ainsi greffée à la lutte armée patriotique, pendant la Révolution du 1er Novembre, sur le front militaire.
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Les joueurs de L’Union Sportive de Biskra (club de foot fondé en 1934) montent dans les années quarante du siècle passé une troupe théâtrale qui a pour but de promouvoir la culture nationale, d’ouvrir un espace de divertissement et de loisirs pour la jeunesse algérienne, à Biskra, d’enrichir la vie culturelle du club, et surtout de développer la conscience politique et sociale des jeunes biskris.
L’US Biskra a été une école de patriotisme, rassemblant les jeunes sous la bannière de la lutte contre la colonisation française dans la région des Zibans et des Aurès méridionales.
Le dirigeant de l’équipe de l’US Biskra et de la troupe théâtrale s’appelait…Mohammed Larbi Ben M’hidi, qui était également joueur au sein de l’équipe. Le dirigeant patriote et martyr était passionné par les pièces de théâtre de Bertolt Brecht, dramaturge allemand révolutionnaire, qui a écrit des poèmes et une pièce au vitriol contre le terrorisme de l’idéologie nazie et du régime hitlérien.
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L’Union Générale des Travailleurs algériens est créée en pleine Révolution de Libération Nationale, en 1956, sous l’égide du moudjahid syndicaliste et martyr Aïssat Idir. L’objectif de l’UGTA est d’unifier les travailleurs algériens dans le combat, sur deux fronts : 1-le front de la résistance à l’esclavagisme dont était victime l’ouvrier algérien dans les usines des gros patrons et dans les fermes des gros propriétaires terriens, d’une part. 2- développer la conscience sociale et politique de l’ouvrier algérien et, par conséquent, lier la lutte de libération sociale au Djihad armé pour la libération nationale, d’autre part. l’UGTA a compté parmi ses membres fondateurs les noms de Boualem Bourouiba, moudjahid syndicaliste et joueur au sein de l’OMSE (l’Olympique Musulman de Saint-Eugène, fondé en 1944), Abdelkader Amrani, moudjahid syndicaliste et membre fondateur de l’USM Alger en 1937 (il en était le trésorier), et Mohamed Akli Zioui, moudjahid martyr et l’un des principaux fondateurs en 1947 du club de football Nasr Hussein Dey (NAHD) en compagnie de son frère Ahmed Zioui, dans la commune populaire et ouvrière de Hussein Dey, à Alger. Parmi les motifs de la création du NAHD on peut citer l’éducation sportive et l’éducation de la jeunesse algérienne à la culture politique, la mobilisation des jeunes pour la cause patriotique, à l’instar de la philosophie de plusieurs clubs algériens créés avant la Guerre de Libération Nationale.
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La culture de la résistance se poursuit aujourd’hui dans les stades de foot du pays, des stades qui représentent essentiellement une tribune pour les revendications sociales, pour dénoncer la corruption, les nouveaux harkis et les tentatives néo-colonialistes (principalement françaises) de reconquérir notre pays, dans un contexte où règne sur le football l’idéologie de l’argent-roi. Le supporter part au stade pour exprimer à voix haute son amour pour sa commune, pour son quartier (el houma) ou pour la région à laquelle il appartient. Les tribunes des stades sont un défouloir pour le supporter qui exprime sa colère de classe contre l’injustice sociale, contre la caste des oppresseurs (l’oligarchie locale). Les supporters expriment aussi dans les tribunes leur soif de justice sociale et leur attachement à la mémoire des moudjahidines martyrs et des militants patriotes (Le CRB en est un excellent exemple). Le club de foot devient, dans l’imaginaire du supporter, un repère identitaire, bien que le supporter sache pertinemment que le niveau du football national est malheureusement bas, et qu’il n’assistera pas à un match de haut niveau. C’est ce qu’on peut observer et écouter dans les chants des Ultras (par exemple « Chkoun sbebna » de l’USM El Harrach, « Fi soug ellil » du Mouloudia d’Alger, « ya nass ya nass » du CRB ou bien « raw djey nharkoum ndourou 3likoum ga3 » du NAHD) qui expriment dans les tribunes une conscience sociale et politique considérable en plus d’un fort attachement au club d’el houmma (la commune) ou de la ville. Cette culture de la résistance (culture salutaire) dans les tribunes est apparue avec l’apparition, il y a quelques années, des Ultras des clubs, ces comités de supporters passionnés et présents dans les stades, que ce soit dans un match à domicile ou à l’extérieur. Par leurs chants engagés socialement et politiquement, les supporters démolissent la propagande des médias et des milieux élitistes -qui méprisent les quartiers populaires et leurs habitants et tout ce qui est culture populaire en général- qui présentent l’image du supporter algérien comme « barbare », « pouilleux », « violent », « stupide ». La phrase de Borges pourrait très bien résumer la position des cercles élitistes envers le football national: « le foot est populaire parce que la stupidité est populaire ». Ces milieux élitistes regardent le football national d’un air hautain, l’assimilent au « populisme », eux qui n’ont jamais mis les pieds dans un stade dans notre pays. Vous remarquerez que ce regard méprisant des milieux populaires est le même que celui de l’oligarque local, bref, le même que celui des membres du parti de l’argent qui ne cessent de s’enrichir (par l’exploitation de l’ouvrier, évidemment) tandis que les zawaliyas s’appauvrissent.
Écrit par: Mohamed Walid Grine
Les sources :
–Amar Belkhodja, Aïssat Idir et Ferhat Hached, deux syndicalistes martyrs, Editions ANEP, Alger, 2014.
–El Hachemi Trodi, Larbi Ben M’hidi, l’homme des grands rendez-vous, Editions ENAG, Alger, 1991.
http://milaha.e-monsite.com/pages/historique.html
http://sebbar.kazeo.com/e-les-hommes-du-mouloudia-c27289572/10
http://sebbar.kazeo.com/historique-chronologique-du-mouloudia-a120166432
https://www.djazairess.com/elbilad/1196
https://www.echoroukonline.com/رسالة-أنصار-الكاب-للاعبين-أنتم-من-ست/
https://www.memoria.dz/jan-2013/guerre-liberation/une-organisation-c-ur-combat-lib-rateur
[1] Comme tout système colonial, quelle que soit sa nationalité. Edward Said (dans son ouvrage Culture et Impérialisme) et Hannah Arendt (dans son ouvrage L’impérialisme) démontrent que tous les empires colonialistes occidentaux ont fabriqué sur les colonisés l’image de « barbares ». (note de l’auteur)