Est-ce un conflit religieux ou bien un conflit derrière un caractère religieux?

La salafiya en tant que doctrine religieuse (que je pourrais appeler ultra-sunnisme) ne me dérange pas vraiment, c’est une vision, comme une autre, du corpus juridique musulman. En fait, elle ne me dérange surtout que médiatement.

 

J’émets l’hypothèse selon laquelle la salafiya, comme doctrine religieuse, est le medium d’une autre doctrine qui me dérange, cette fois-ci politique : c’est la wahhabiya*. Ce dernier utilise la salafiya comme soft power pour faire admettre la vision saoudienne de l’organisation politique et des relations internationales dans les pays musulmans. Je donne deux exemples. Le premier est celui qui touche au dit dakhilisme, qui consiste à prohiber toute révolte contre le gouvernant, même s’il est méchant ou incapable. Et ce dakhilisme s’appuie sur la sunna pour faire admettre cette quasi-idéologie de la soumission ; ainsi, la salafiya comme medium permet de faire accepter le pire, de corrompre le sens commun-même en matière de vision politique ou sociale.

Le deuxième exemple est l’opposition chiisme-sunnisme. La doctrine wahhabite discrédite, par exemple, un Etat comme l’Iran ou un groupe comme Hizb Allah par la médiation de la salafiya. Anecdote : une fois, je discutais avec mon oncle, et je ne sais comment j’ai évoqué l’Iran, en lui disant qu’ils combattaient Israël et qu’ils subissaient des blocages économiques de la part des Eats-Unis, mais il m’a rétorqué que ce n’était que du spectacle, que n’est que de la mise-en-scène, que dans les coulisses ils sont en fait les amis des Etats-Unis et d’Israël, et puis il m’ajouta que, de plus, les chiites n’étaient pas en fait des musulmans. Là, je vois un biais discursif astucieux qui consiste à utiliser le dogme et la foi pour discréditer d’emblée toute action chiite, même lorsque cette dernière n’a rien à voir avec la foi musulmane. Voici encore une anecdote. Lors d’un séjour scientifique au Liban, je partageais une chambre avec un Algérien. Une fois, en conversant, je lui ai exprimé mon admiration pour la tolérance interconfessionnelle dans ce pays, sans citer des religions en particulier. Ce dernier a directement commencé par me poser une question métaphorique en me demandant à peu près ceci : « Dis-moi ? Est-ce qu’un aveugle de naissance est capable de décrire les oiseaux, la nature, etc. ? » Ne comprenant pas le but de sa question, je lui ai rétorqué que ne connaissant pas la fitra (l’innéité) que Dieu met en chacun de nous, je ne pouvais répondre à sa question. Voyant qu’il a été surpris par ma réponse, je lui ai demandé le sens de sa question, et là il m’a expliqué que la différence entre le voyant et l’aveugle (né) est comme la différence entre la foi saine et la foi chiite… Cette anecdote m’a donné une mesure de la propension que l’obsession anti-chiite peut prendre.

Donc. Alors même que l’Iran subit des sanctions américaines, et alors même qu’il traite Israël comme un ennemi (comme le fait le Hizb Allah), l’Arabie Saoudite réussit malgré tout, par le biais de la salafiya, à les discréditer. Alors même que L’Arabie Saoudite a une relation cordiale avec les Etats-Unis, alors même que ce pays embrase le Yémen et tue son peuple, avec l’aide et la bénédiction étasunienne et occidentale, alors même que dernièrement, des pays du Golf, dont l’Arabie Saoudite normalisent leur relations avec Israël. Malgré tous ces faits, les salafis trouvent le moyen d’épouser les vues géopolitiques saoudiens. Le problème est que même en supposant que les Iraniens soient vraiment des hypocrites… j’ai une question pour eux : l’Iran pourrait-il être pire que l’Arabie Saoudite qui – elle – affiche, sans honte aucune, son amitié aux Etats-Unis et qui s’attaque à un pays frère, ethniquement et religieusement ?

Bref, la doctrine salafiyya non seulement nous met dans un ultra-sunnisme intransigeant et surtout socialement sclérosant, mais c’est surtout le medium de la wahhabiya, le soft power d’un pays « islamique » qui n’a cherché et ne cherche encore que ses propres intérêts nationaux, même au détriment de peuples coreligionnaires ; la wahhabiya est quant à elle une doctrine politiquement sclérosante qui infeste, insidieusement, le Maghreb.

En tant qu’individu influencé par la gauche et son corollaire la méfiance envers le capitalisme financier, exploiteur ou multinational, et en bref le néolibéralisme ; mais également envers l’usage intéressé de la religion (sa marchandisation), j’ai peur de ces deux dangers pour ma Patrie : la wahhabiya et le néolibéralisme, car le premier sclérose la société et le second la dilue.

N.B: Je dénonce uniquement l’usage d’une doctrine religieuse au profit d’une doctrine (géo)politique.

Écrit par: Noureddine Chikh

P.S: le présent texte n’a pas la prétention d’apporter une analyse suffisante d’ordre géopolitique ou journalistique, c’est surtout un texte partisan et militant, dont le but est surtout de susciter la réflexion et de proposer une hypothèse qu’il convient à chacun d’observer ou réfuter

* Par wahabiya, j’entends la doctrine politique actuelle de l’Etat saoudien, qui est l’aboutissement de l’alliance au XVIIIe siècle entre Ibn Abdelwahhab et Ibn Saoud pour fonder un Etat indépendant de l’Empire ottoman.

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