Histoire nationale: postface au livre « la Résistance Algérienne de 1845 à 1945 » d’Ahmed Akkache

Alors que Frantz Fanon, dans l’introduction de l’An V de la Révolution algérienne, dit de celle-ci qu’elle a été « la guerre la plus hallucinante qu’un peuple ait menée pour briser l’oppression coloniale», Ahmed Akkache, dans l’introduction à son essai: «La résistance algérienne», écrit: «Il est sans doute peu d’exemples, dans l’histoire de l’humanité, d’une résistance aussi acharnée et d’une opposition aussi intransigeante à la domination étrangère.»

Dans cet essai aussi concis qu’instructif, Si Ahmed ne se contente pas de recenser – de manière non exhaustive – les guerres de résistance menées pendant un siècle par le peuple algérien, il tord le cou, tout au long de cette énumération, aux mythes colonialistes qu’on voudrait réactiver aujourd’hui: la mission civilisatrice, démentie par les atrocités commises par l’armée française contre les tribus des Zâatcha, de Kabylie, etc. Il faudrait un autre essai pour une liste non exhaustive de ces exactions.

Mais aussi le mythe de terra nullius, ou le mythe de la terre vierge, sans maître, démenti par l’aveu éloquent de, entre autres, le maréchal de St Arnaud, cité par Si Ahmed: « J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés.»

Le recours systématique à la politique de la terre brûlée donne un exemple éloquent de la sauvagerie criminelle de l’entreprise coloniale, et de son ineffable hypocrisie: plongeant dans l’arriération les populations par la destruction des forces productives, via les exécutions punitives, les incendies des récoltes, et les confiscations du bétail,on se targue ensuite de présenter le peuple algérien comme « arriéré et incapable », « découvert » par le colon au stade de la cueillette ou, au mieux, de l’élevage.

Les populations, affamées et dépouillées de leurs moyens de production, trouveront pourtant, dans leur courage et leurs sacrifices, les ressources pour pourvoir en vivres des armées reconstituées afin de poursuivre la résistance.

Ces armées font preuve d’un courage admirable. Ainsi le colonel Trumelet écrit: « Malgré les vides qui se creusent dans cet amas de cavaliers, dans cette cohue en délire, malgré les selles qui se vident de leurs cavaliers, malgré les pentes qui s’encombrent de cadavres…, les rebelles ne songent point à déserter.Vingt fois ils reviennent à la charge, soit en masse, soit en échelons.»

Et les moussebiline du Djurdjura, commandés par Lalla Fatma N’Soumer, s’attachent les uns aux autres pour combattre jusqu’au dernier.

Quant aux Oulad Sidi Cheikh, pendant vingt ans ils tiendront la dragée haute aux armées coloniales, qu’ils ne cesseront de harceler.

La guerre de 1871 « achève de donner à l’insurrection une dimension nationale ».

« C’est en effet une véritable guerre de libération qui s’engage, la plus importante depuis la reddition de l’Emir Abdelkader.»

« Ce qu’on appelle d’ordinaire «l’insurrection Kabyle» est donc en réalité une puissante insurrection nationale anticolonialiste, où des paysans expropriés, des Khammès, et des montagnards côtoient des ouvriers des villes, des chefs féodaux et des membres de confréries religieuses. La révolte atteint son point culminant en Avril 1871.»

Ce n’est qu’à grands renforts de contingents libérés par la fin de la guerre franco-allemande et l’écrasement de la Commune de Paris que le colonialisme va venir à bout des combattants algériens. Une répression féroce s’ensuit: « Exécution sommaire par centaines, incendies, destruction, accaparement de plus d’un million d’hectares de terres, amendes énormes de plusieurs dizaines de millions de francs-or imposées aux populations, etc…»

Ce qui n’empêchera pas, entre autres, les Oulad Sidi Chikh de se soulever encore une fois, en 1881, sous le commandement de Bouamama.

Ainsi, ces soulèvements, comme le rappelle Si Ahmed, ne sont pas seulement le fait de différentes régions, à tour de rôle, « pacifiées » les unes après les autres, et finalement soumises. Des régions décimées, meurtrie par les massacres et la politique de la terre brûlée, refusent de courber l’échine et, à peine leurs blessures pansées, reprennent le combat de manière encore plus acharnée.

A partir de 1890, la résistance change de mode opératoire: les maquis se forment, les groupes se fractionnent, et les nombres d’attentat s’accroissent de manière spectaculaire.

« Les colons européens exigent le retour à la responsabilité collective, c’est-à-dire à la répression de populations entières en cas d’attentats individuels.»

A titre d’information, Si Ahmed nous livre le nombre d’attentats recensés de 1886 à 1895:

1886 – 2623 attentats
1887 – 3961 attentats
1888 – 4998 attentats
1889 – 5632 attentats
1890 – 5014 attentats
1891 – 5327 attentats
1892 – 6557 attentats
1893 – 7568 attentats
1894 – 9397 attentats

1895 – 8389 attentats

 

A partir de 1908, c’est contre la conscription que les populations se révoltent: les algériens refusent de livrer leurs enfants à l’armée coloniale pour qu’elle en fasse les supplétifs de ses entreprises de conquête et de domination, notamment contre nos frères marocains que la France s’apprêtait à « pacifier ».

Par l’exode ou par la désertion en direction du maquis, les algériens rejettent l’assimilation sous les drapeaux. Ce refus entêté de l’Algérie indépendante de jouer les proxis de l’impérialisme – notamment en Libye – prend ses racines dans l’insoumission d’un peuple aux menées impérialistes, qu’elles soient dirigées contre lui-même ou contre les autres peuples. Ni esclave, ni affranchi : l’Algérien ne se conçoit que libre, sans joug ni tutelle.

 

Ce n’est qu’entre 1918 et 1920 que se termine, provisoirement, la phase de résistance armée du peuple algérien, qui n’aura eu de cesse, durant 90 ans, de mener la guerre au colonialisme, guerre qui aura coûté à la France, selon certains auteurs, 200.000 hommes.

 

A partir de 1920, la résistance s’organise politiquement et socialement, les manifestations et les grèves travaillent la conscience algérienne et font le lit de la formidable explosion de 1954 : « La résistance populaire n’est pas détruite. Mais comme ces oueds du désert qui s’enfoncent brusquement dans le sable pour resurgir on ne sait comment, quelques kilomètres plus loin, elle a pris des formes nouvelles. »

 

En rendant hommage à la résistance du peuple algérien, en élevant dans nos mémoires leur combat héroïque, Si Ahmed, par la même occasion, piétine les élucubrations des aliénés qui voudraient nous convaincre que l’Algérie est une création de la France.

Digne héritier d’un peuple de combattants, Si Ahmed lègue un travail de résistance que nous, jeunes générations appelées à faire face aux nouvelles prédations de l’impérialisme, devons étudier, méditer et poursuivre, afin de perpétuer cette glorieuse tradition algérienne d’irréductibilité, d’insoumission et de fière indépendance.

Postface écrite par: Djawad Rostom Touati

Titre du livre: Ahmed Akkache La Résistance Algérienne de 1845 à 1945 (essai), SNED, Alger, 1972

Postface initialement publiée sur le blog dédié à l’oeuvre du regretté Ahmed Akkache. Lien vers le blog: http://ahmedakkache.over-blog.com/2017/01/postface-au-livre-la-resistance-algerienne-de-1845-a-1945-d-ahmed-akkache-par-l-ecrivain-djawad-rostom-touati.html

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