« là-bas et ici. »

 

Antienne que l’on ne cesse d’entendre, où que l’on donne de l’oreille :

« On ne peut nier que l’Occident possède des valeurs admirables que l’on ne trouve hélas pas chez nous. Aux USA, par exemple, nos cerveaux expatriés ont pu percer dans leurs recherches, leurs innovations, etc. Là-bas, on leur dit :« Pourquoi pas? Essayez! » Ici, ils n’entendaient que des: « Mais pourquoi tu veux faire ça? Tu as perdu la tête? » Là-bas, ils ont des valeurs, une méritocratie, qui n’existent pas chez nous. »

Passé le moment d’exaltation béate, propre à l’esprit primesautier et conditionné par le complexe du colonisé à s’extasier sur tout ce qui vient de « là-bas », en examinant de plus près les choses on réalise qu’il ne s’agit pas de « valeurs », au pluriel, mais d’UNE caractéristique: le pragmatisme. Les capitalistes sont des technocrates (résultat logique du développement du capitalisme): ils savent que sans innovation constante, leur système va péricliter. Raison pour laquelle ils encouragent sans cesse l’innovation et le progrès quel que soit le pays d’origine du penseur/inventeur/chercheur, etc.

Il faut donc d’ores et déjà  arrêter de transformer un comportement intéressé en grande valeur morale, en mythe fondateur d’une pseudo-méritocratie. La technocratie engendre la méritocratie en tant que valeur nécessaire au capital. C’est tout. Pas de quoi en faire de grands discours béats et admiratifs sur Sidi l’Gawri si sublime et brillant tandis que nous autres, plèbe arriérée, sommes à la traîne. C’est une question de système de production, non de patrimoine socio-culturel. Autrement dit, quiconque cherche à se vendre, pour peu qu’il ait une valeur intéressante à proposer, trouvera acheteur dans le marché Occidental. De là à faire passer un strict rapport d’intérêt, un échange purement marchand, en grande valeur morale, en mythe fondateur, il y a un fossé énorme, que seul  le complexe du colonisé permet de franchir allègrement, par la pensée aliénée.

Car il est limpide pour l’esprit sain et objectif que quiconque pouvant produire une PLUS-VALUE est dorloté par le système capitaliste. De ce point de vue, et de ce point de vue seul, le capitalisme est méritocrate, mais A L’ARRIVEE : le capitalisme ne permet pas une égalité des chances  AU DEPART, bien au contraire : en pillant les potentiels des pays sous-développés, en les vidant de leurs cerveaux, il maintient ces pays dans l’arriération et la tutelle impérialiste. Et nos expatriés qui s’extasient sur la méritocratie de leurs hôtes perdent de vue que pour le Capital, nos cerveaux ont le même mérite que le pétrole, le phosphate ou le diamant : ce sont des matières premières dont on nous pille pour nous les revendre en produits manufacturés. A la différence que nos cerveaux, contrairement aux matières fossiles non renouvelables, sont une matière plus précieuse, car plus PRODUCTIVE, d’où les considérations, les distinctions, les honneurs, qui sont autant de MODES DE TRAITEMENT d’une matière première, en vue d’obtenir UNE PLUS-VALUE. Et verser dans le pathos et le mythe là où il n’y a que pragmatisme sans vergogne prouve que les plus grands génies, hors leur domaine de compétence, peuvent devenir de parfaits imbéciles.

Mais peut-être qu’en nous faisant la leçon sur le merveilleux Occident méritocrate, cela leur permet d’étouffer leur mauvaise conscience : si notre système est pourri, certes, et n’a que faire de nos élites, car il se suffit encore grâce à la confiscation de la rente des hydrocarbures (encore que la roue semble près de tourner), courir dans les bras confortables de l’Occident, au lieu d’employer ses dons à combattre ce système en servant son pays malgré les bâtons dans les roues et autres traverses, n’est rien de moins que de la lâcheté.

Ainsi, tous ces beaux discours sur l’Occident méritocrate ne sont peut-être finalement qu’une excuse, l’expression revancharde d’une mauvaise conscience qui se sent obligée de se justifier…

Pauvres génies !

écrit par: Djawad Rostom Touati