La petite vie ordinaire d’un petit cadre du tertiaire

Secoué à sept heures tapantes

Par la sonnerie du réveil

L’humeur déjà massacrante

A peine émergé du sommeil

 

Un café vite ingurgité

Sans avoir eu le loisir

De vraiment y goûter

De le savourer avec plaisir

 

Il faut déjà se mettre en route

Avant que les embouteillages

Ne fassent avancer au compte-goutte

Les nouveaux esclaves du péonage

 

Première, deuxième, première

Coups de phares, klaxons

Se faufiler, à bout de nerfs

A coup de queues de poisson

 

En lorsque de vertes injures

Déferlent sur ma tête en cascade

Je fais celui qui n’en a cure

La lâcheté succède à la bravade

Arriver quand même en retard

Essuyer les balivernes

Du supérieur Père-fouettard

Qui se croit à la caserne

 

Couplet sur la ponctualité

Écouter vaguement le laïus :

« Discipline, assiduité

Apporter son petit plus »

 

L’Argus n’en finit pas de dégoiser

Tant il aime le son de sa voix

Puis, après m’avoir bien toisé :

« Attention, c’est la dernière fois »

 

« Ouuuuuuh ! J’ai peuuuuuuuur ! »

Ai-je envie de lui rétorquer…

Seulement en mon for intérieur

Je me garde bien de répliquer

 

Après cette régression infantile

S’avachir face à l’ordinateur

Pour exécuter des tâches inutiles

De bureaucrate compilateur

 

Entre deux mails fastidieux

S’abrutir sur réseau social

Où le ridicule côtoie l’odieux

Le tragique se mêle au banal

 

Attendre avec langueur

La salvatrice pause-déjeuner

Vérifier tous les quarts d’heure

L’aiguille si lente à tourner

 

Pour ensuite à midi courir fissa

Dans l’une des gargotes bondées

Jouer des coudes pour une pizza

Ou un sandwich de graisse inondé

 

Avec deux ou trois collègues mutins

Envers la hiérarchie d’humeur taquine

N’avoir à la bouche que les potins

Et la mayonnaise qui dégouline

 

Rentrer en traînant les pieds

Des travaux entendre les échos

Poser les yeux sur le chantier

A quelques mètres de nos locaux

 

La saine fatigue de l’ouvrier

Exécutant une tâche virile

Est tellement plus à envier

Que notre boulot qui rend débile

 

Et dans son champ le brave paysan

Qui cultive ses produits sains

Ou alors le talentueux artisan

Qui façonne de ses propres mains

 

Jettent cruellement la lumière

En le mettant en rapport

Sur le parasitisme du tertiaire

Adossé à l’import/import

 

Dans l’après-midi réunion

Aussi longue qu’ennuyeuse

Chefaillons laids et grognons

Chamailleries bêtes et oiseuses

 

Pérorer sur des futilités

D’un ton docte et sentencieux

S’adresser à des nullités

En des termes révérencieux

 

Donner du « Oui monsieur »

A des décideurs ventripotents

D’autant fats et prétentieux

Qu’ils sont vains et incompétents

 

Enfin sortis de la boite

Les nerfs son plus vite usés

Sur la route trop étroite

Que son asphalte mal posé

 

L’occasion pour oublier

La circulation interminable

De la route embouteillée

En pérorant sur les minables

 

Les bénéficiaires du népotisme

Qui ont à force de prébendes

Gangrené tous les organismes

De l’Etat, par leurs dividendes

 

Vaines et stériles récriminations

Catharsis de mol arpète

Qui ne sera jamais l’inspiration

De la moindre action concrète

 

Enfin rentré à la maison

Lire les inepties des journaux

Ou celles de la télévision

Aider madame aux fourneaux

 

Dîner, vaisselle, film ou série

Câlin, si madame est partante

« Pas ce soir, s’il-te-plait chéri

J’ai eu une journée éprouvante »

 

Et le lendemain encore rebelote

Jusqu’au week-end tant révéré

Journées bénies, repos de l’ilote

Pendant toute la semaine espéré

 

Grasse matinée, faire le marché

Pester contre la flambée des prix

Les marchands sans cesse à tricher

Que l’on accable de son mépris

 

« Manque de contrôle, spéculation »

On analyse, on critique, on professe

Piètre et risible consolation

A l’impuissance qui nous oppresse

 

Et dès l’après-midi, direction

Les grandes surfaces pour sacrifier

Au culte de la consommation

A la marchandise sanctifiée

 

Réduction, soldes, promotions

Occasions à ne pas manquer

Tout pour renforcer l’addiction

A ces enclos où sont parqués

 

Les ersatz de rêves et d’aspirations

Dont les rayons font étalage

Tous nos désirs et nos ambitions

Réifiés, mis sous emballage

 

Enfin le congé annuel

Occasion de « changer d’air »

Tourisme conventionnel

Activités, loisirs grégaires

 

Doux ingénus tout émerveillés

Par le moindre site ou paysage

Et qu’on ne cesse de mitrailler

Pour en rapporter chez soi l’image

 

Les rares moments de liberté

Sont vite réduits à des souvenirs

Que l’on s’empresse de collecter

Avant de devoir revenir

 

A son petit train-train de péon

Pas trop durement pressuré

Cette routine que nous nous créons

A seule fin d’être rassuré

 

Sur l’avenir incertain

Que l’on accepte de céder

Au péonage contemporain

Pour n’avoir pas à décider

 

D’une vie désormais planifiée

Du berceau à la décrépitude

Et nos rapports sociaux réifiés

Nous enferment dans la solitude

 

Foule solitaire condamnée

A une existence falsifiée

Par la production aliénée

Qu’au Capital elle a confiée

 

Écrit par: Djawad Rostom Touati

Source de l’image de l’articlehttp://www.bloc.com/images_administrables/bibliotheque/grande/travail-stress-depression.jpg

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