Que veulent les entrepreneurs identitaires du mouvement pour l’autonomie du Mzab?
La libération prochaine de l’ex-président du « Mouvement pour l’Autonomie du M’zab », Kamel-Eddine Fekhar interroge aujourd’hui l’efficacité de la stratégie de gestion de l’extrémisme politique des mouvements berbéristes en Algérie. Arrêté le 9 juillet 2015 à la suite des affrontements intercommunautaires qui ont éclaté à Ghardaïa, l’activiste mozabite poursuivi pour une dizaine de chefs d’accusation (dont les plus graves sont l’ atteinte à la sûreté de l’État et à l’intégrité du pays, la constitution d’association terroriste) a finalement été condamné le 25 mai dernier à 5 ans de prison dont 18 mois ferme, peine déjà purgée en détention préventive. Mais le retour de Fekhar sur le devant de la scène politique fait redouter une exacerbation de la tendance séparatiste au sein du MAM et un regain de tension intercommunautaires dans le Mzab. Depuis plusieurs mois, cette affaire a donné lieu à une mobilisation internationale et des campagnes de presse. Sa grève de la faim en signe de protestation contre sa détention préventive avait mis en ébullition les composantes de la mouvance berbériste. Or si les défenseurs zélés de Fekhar n’ont pas manqué de présenter son dossier comme un cas de violation des droits de l’Homme, et dénoncer légitimement les méthodes contestables du système judiciaire algérien, ils n’en ont pas moins omis de rappeler le véritable projet politique de dislocation nationale du MAM. En novembre 2015, dans un communiqué publié par l’agence kabyle d’information Siwel (organe de presse du MAK avanad, aile la plus radicale du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie) le MAM (affilié au Congrès mondial amazigh, accusé de connivence avec le Maroc et Israël) clarifie sa position idéologique qui puise dans le mythe colonial d’une ethnicité berbère opposée à l’identité arabe. « Il faut rappeler qu’avant l’indépendance algérienne, les Mozabites avaient toujours vécu souverainement à l ’intérieur de leurs cités et sur leur territoire, y compris durant la colonisation française où les mozabites payaient annuellement le prix de leur autonomie. Or, depuis 1962 et la prétendue « décolonisation » de l’Algérie, le peuple amazigh du M’zab s’est retrouvé face à une situation inédite : livré à une impitoyable politique de colonisation conjuguée à une politique d’arabisation outrancière visant à complexer le berbère par rapport à l’arabe et l’ibadite par rapport au sunnite », mentionne le communiqué.
La conception très discutable du MAM sur le conflit au Mzab, qui mettrait aux prises une « majorité arabe éradicatrice », bénéficiant de la complicité du pouvoir, et une « minorité berbère persécutée », trouve son expression politique antinationale dans l’appel à l’intervention étrangère de Khodir Sekkouti, porte-parole du mouvement. Dans un communiqué, intitulé « Le régime algérien construit des colonies dans le Mzab », celui-ci déclarait : « Nous continuons notre lutte et notre mobilisation sans relâche. Nous cherchons des soutiens à l’Etranger qui peuvent nous aider à pousser le régime algérien à accepter nos revendications ». En avril 2016, le mouvement n’hésite pas à interpeller Ban Ki Moon, le Secrétaire général des Nations-Unies en poste à l’époque, « pour parer à toute agression de la part des forces de répression algériennes et pour une protection effective des Nations Unies, car le peuple mozabite est en réel danger ». En écho à cette instrumentalisation politique, en mai 2017, des ONG internationales, Amnesty International, Human Rights Watch, EuroMed Rights et Front Line Defenders, s’ingèrent dans les affaires intérieures de l’Algérie, en demandant à Alger « d’abandonner tous les chefs d’inculpation retenus» contre Fekhar et ses codétenus. Les accusations ne se fonderaient, selon elles, que « sur leur militantisme pacifique en faveur des droits de la minorité amazigh ou berbère », faisant fi des conséquences sur le terrain des déclarations séditieuses qui transforment un conflit politique en conflit communautariste. Le discours idéologique du MAM construit un imaginaire politique enflammé où la majorité arabe, aidée par le pouvoir, chercherait à modifier l’équilibre ethnique du territoire en occupant l’espace de la communauté mozabite présentée comme victime. S’il est indéniable que les tensions se cristallisent autour de l’enjeu de l’occupation des lieux et que l’échec des politiques de développement de l’Etat algérien a largement contribué au maintien des rivalités dans le Mzab, le clivage fictif entre arabes et berbères n’en reste pas moins une explication que la réalité dément. Les racines historiques du conflit sont à rechercher dans les rapports de classe et la fracture entre la population arabe du grand sud mal insérée dans les réseaux économiques et institutionnels et l’ organisation sociale pluriséculaire des Mozabites qui leur a permis de préserver leur position économique dominante, eu égard à leur intégration assez précoce aux formes nouvelles de l’économie dans le Tell et à leur insertion solide dans des structures familiales et communautaires traditionnelles. Or dans un contexte de libéralisation économique, la privatisation tous azimuts et l’urbanisation galopante de la vallée du Mzab ont engendré un développement social inégal dans la région, avec son lot de chômage et de besoins sociaux et culturels grandissants. Centre économique et centre de décision politique, la ville est devenue un enjeu qui cristallise toutes les tensions entre populations en quête de statut social et de place sur l’échiquier urbain.
Ainsi si l’examen critique du discours et des pratiques du MAM permet de déconstruire la rhétorique du conflit ethnique pour saisir la réalité sociale du Mzab, la question de la stratégie à tenir vis à vis des mouvement berberistes autonomistes ou séparatistes reste entière. Les autorités politiques algériennes font face aujourd’hui à un dilemme : lutter fermement contre des mouvements qui remettent en cause les fondamentaux de l’indépendance au risque de ternir l’image libérale qu’ils tentent de présenter à l’international, ou faire montre de complaisance et augmenter les risques de l’ingérence étrangère et de sédition. Or toute la difficulté réside dans le fait qu’en situation de « libéralisation », le coût politique d’une reprise en main par le régime algérien est bien plus supérieur que celui engendré dans une situation ouvertement autoritaire, de même que le risque qu’il prend à laisser les entrepreneurs identitaires dépasser un certain seuil est plus important.